Ce qui me faisait peur dans cette course, ce n'était pas tant les distances, mais la chaleur annoncée, que je crains toujours et qui signifie les crampes pour moi. Mes craintes étaient bien fondées.
La super pasta party de la veille avec Denis, Frantz, Marithé, Valérie, Christian et sa femme m'évitent de broger. La nuit est courte mais j'arrive quand même à dormir, malgré les bruits lointains du speaker qui montent jusqu'au camping situé à 1km500 du parc, déjà en forme dès 2h du mat, occupé à régler sa sono !
Embrun, c'est d'abord une ambiance, et elle se vérifie dès le petit matin où je rejoins les potos à l'entrée du parc. Christian et sa femme, Valérie sont déjà là pour nous accueillir. Quelques mots échangés dans le raclement des caisses plastiques des triathlètes au sol. Je sens Émeric un peu inquiet et son inquiétude commence à déteindre sur moi. L'entrée dans le parc est un peu longue, Vigipirate oblige, le contrôle des cartes d'identité prend beaucoup de temps. Aussi, la préparation dans le parc se fait en accéléré. J'ai à peine le temps de me préparer qu'on annonce déjà le départ des femmes. Les derniers encouragements échangés, et c'est déjà notre tour. Denis et moi, on se fait presque surprendre. Hallucinant de voir que les premiers viennent de piquer un sprint pour se jeter dans l'eau.
NAT : C'est les premières brasses. Je trouve l'eau trop chaude et je regrette presque d'avoir enfilé la combi. Je m'attends à nager dans le noir, mais finalement, tout n'est pas si sombre. J'arrive assez vite à prendre un bon rythme pour mon piètre niveau, et là où je craignais de trouver le temps long, je me rends compte que la NAT passe plutôt bien, surtout au deuxième tour où je savoure le soleil qui accompagne mon avancée en illuminant progressivement le flanc des montagnes. Moi qui d'habitude perds du temps en slalomant, je me surprends à nager plutôt bien droit. Un concurrent que j'ai le malheur de toucher d'un peu trop près s'énerve, se retourne et m'envoie des coups de pied en râlant. Je fais tout pour éviter d'autres coups et je positionne plutôt bien ma nage que je finis à peu près dans les temps escomptés.
T1 : Je me change tranquillou. Je n'ai pas la tête qui tourne, tout va bien, mais je prends soin de m'alimenter un petit peu. Je sais que la journée va être très longue. Je vois encore le vélo de Denis. J'hésite à l'attendre, car j'ai soudain une petite appréhension à me lancer seul dans la gueule du loup, car c'est là que ça commence.
Vélo : et ça commence sévère en effet avec des pentes plutôt raides dès le départ ! Christian est déjà là à m'encourager à la sortie du parc et il ne me lâchera plus de la journée. Je prends aussitôt un bon rythme et je ne sens pas l'asphyxie. Le léger vent frais fait du bien et finit de m'assécher. Je positionne même les bras sur le guidon dans les parties les plus roulantes. Je profite du paysage, magnifique. Cette partie qui mène à Savines m'est inconnue, elle fait déjà très nettement l'écrémage. Une fois arrivé sur la route de Savines, on retrouve davantage de trafic routier, et le lac éclabousse le paysage de ses couleurs multiples. J'en prends plein les yeux et je savoure. La partie est roulante et j'envoie du braquet. Dans le centre de Savines, il y a une bonne ambiance et beaucoup de monde, c'est même parfois un peu compliqué de se faufiler entre les voitures et les motos. Entre Savines et Embrun, Denis me rejoint. On échange quelques mots et j'essaye de ne pas le perdre mais il s'éloigne trop vite et je ne le verrai plus sur ce parcours. Je passe devant le camping des Esparons où je retrouve ma femme qui m'encourage. Le tracé qui mène à Guillestre est irrégulier et bien vallonné, je me laisse griser, et je paierai sans doute un peu cher l'idée de rejoindre Denis à tout prix. Heureusement, c'est un parcours que je reconnais, pour l'avoir plusieurs fois emprunté à la cyclo Luc Alphand ou à l'EDT Gap-L'alpe d'Huez, il y a 10 ans déjà. J'avais aussi 10 ans de moins ! Heureusement, les rives du Guil sont toujours aussi magnifiques et rafraîchissantes.
Une épingle à cheveux sur la gauche, on quitte la route qui mène au col d'Allos, et c'est là que l'Izoard commence. La première partie qui s'annonce est mauvaise. Je savais que cette portion Brunissard-Arvieu était piégeuse, et je sens que ça commence à piquer dans les cuisses, d'autant que la chaleur commence à grimper sévère. La route s'élève progressivement en ligne droite interminable, on passe les deux petits villages et ce n'est pas fini. On peut espérer souffler un peu au niveau des lacets dans les pins.
Mais c'est là, 4 kms avant le sommet, soit 2 kms avant la Casse Déserte, que les premières crampes m'obligent pour la première fois à poser pied à terre. Là, je me dis que c'est bien trop tôt pour subir ça, et je revois alors aussitôt à la baisse mes espérances de chrono (14h30 - 15H)
Je masse, je récupère et me voilà reparti. Heureusement, le spectacle grandiose de la Casse Déserte me redonne du tonus, sans compter les nombreux spectateurs présents au bord de la route. Un dernier petit coup de cul, et c'est le sommet. Pagaille monstre avec les ravitos persos, une drôle d'idée par ailleurs que j'avais totalement sous-estimée et que je trouve scandaleuse. Il me faut du sel, absolument, pour faire passer ces fichues crampes. Or, pas une rondelle de saucisson, pas de jambon, rien de solide au sel, si ce n'est des Tuc et du sel en poudre ! Quand on sait que la moindre petite cyclo propose naturellement du salé, je trouve que les ravitos de l'Embrunman, vu les tarifs d'inscription, pourraient faire un petit effort de ce côté-là. Je soumets mes interrogations à une bénévole qui me répond assez sèchement que pour "la côte de boeuf, c'est au bout de la table !" Bon, je me contente d'un "rail" de sel entre deux Tucs ! Je confirme, c'est efficace...
La descente, roulante, peu technique, m'amène à Briançon, plutôt déserte en spectateurs. À la sortie de la ville, on rallie Embrun par les routes empruntées par la Serre Che Luc Alphand. Heureusement que je les connaissais, car certaines rampes font vraiment mal, notamment l'une d'entre elles qui doit dépasser les 15% sur 1 ou 2 kms. J'arrive au bas de la côte de Chalvet, et là, les crampes me reprennent sévèrement. Pour la première fois, je me vois mal embringué dans le marathon. Un spectateur propose gentiment de me masser. J'entends mon nom, je réalise sur le tard qu'il s'agit de Stephane, déjà à fond dans la CAP. Je prends un petit coup au moral. Un nouveau cocktail de gels, eau et Sportenine fait encore passer les crampes. Je me remets en selle.
Je croise plusieurs athlètes à la dérive, dont une jeune femme qui serpente sur la route, hagarde. Je lui demande si ça va. Elle me répond à peine. Elle m'inquiète, aussi j'alerte un signaleur.
Il fait une chaleur de four et je finis vraiment la dernière côte au mental. Dans la descente, ma roue arrière patine sur une plaque de goudron fondu. Je réaliserai après coup que c'est sans doute ce qui a causé la chute de Steph.
En T2, j'ai un peu récupéré, mais je prends mon temps. Le speaker dit qu'une centaine d'athlètes a déjà franchi la ligne.
CAP : Je ne sais pas si je vais être capable de tenir mes 3h45 escomptées, mais j'essaye d'en choper le rythme tout de suite. Les crampes ne m'ont pas lâché aussi facilement et viennent assez vite me rappeler à l'ordre. Je vois Christian et sa femme dès l'entame du 1er tour qui s'avérera être un calvaire. Incapable de trouver un rythme. Pourtant, je me sens bien, j'ai la caisse, mais ce sont juste ces p... de crampes qui m'empêchent d'envoyer les watts
Je parviens à la 2e boucle, je vois ma femme et mon chien, j'arrive un peu mieux à courir, la team Christian me porte littéralement ! Le passage dans les rues d'Embrun est une source revitalisante qui est bien venue. On n'a jamais clamé autant mon nom sur un parcours de course ! Quel public ! Plusieurs personnes m'auront encouragé et même massé. Je remercie tous ces anonymes car sans eux, je n'aurais peut-être pas eu la niaque pour finir !
Avant l'entame du 3e tour, je sens une vraie amélioration de mon état, aussi je crie à Christian : "13 kms, c'est rien !". En fait, ce sera encore beaucoup ! La nuit tombe progressivement, le public se fait aussi plus rare. Heureusement, j'aurai encore suffisamment d'encouragements pour tenir. "Eh, mec, il est 20h55, tu peux même finir en marchant !" me dit-on. Mais je veux marcher le moins possible. La nuit qui m'envahit de plus en plus me cause de légers troubles de la vue, mais j'arrive à courir plus longtemps. Dans les deux derniers kilomètres, je croise Denis qui en termine, je crie son nom mais je crois qu'il ne m'entend pas. Je cours un bon kilomètre avec deux athlètes dont je fais la connaissance : un gars de Saint Siméon de Bressieux et l'autre d'Aiguebelette. On entreprend de finir à trois. Je les accompagne, mais comme je sens les crampes revenir, je juge plus sage de les lâcher. Merci à eux en tout cas car ils m'ont sacrément reboosté.
Le dernier kilomètre est un plaisir. Je sais que c'est gagné. Je retrouve Christian tout sourire qui me dit que je l'ai fait. J'aperçois ma femme qui me porte, et pleins de gens qui me tapent dans les mains en criant encore une fois mon nom. Les larmes me montent aux yeux dans les derniers mètres du tapis bleu, et c'est la délivrance !
Un grand merci à tous ceux qui m'ont encouragé, ces formidables anonymes, sincères et gentils, tous ceux du club qui m'ont suivi et porté dans leurs messages et leurs likes. Quelle foule ! Quel élan ! Comme Emeric, les frissons m'ont couru l'échine plusieurs fois, et nos supporters verts et noirs ont été juste formidables. Merci à ces athlètes inconnus qui eux aussi m'ont porté pour finir. Car il était absolument hors de question d'abandonner.
On me passe la médaille autour du cou, on me tend une bouteille, on me demande ma taille de tee-shirt finisher - tout sourire je rejoins Christian et sa moitié qui ont encore la gentillesse de me prendre en photo, et j'ai déjà la tête dans le prochain Ironman : Nice, ou Annecy, ou Venise...
On verra bien... Mais une chose est sûre : je me vengerai de ces foutues crampes !!!